Préjudice automatique ou préjudice à prouver

— Retour  sur une série d’arrêts rendus par la Cour de cassation le 4 septembre 2024 —

Un(e) Responsable commercial ou un(e) Responsable de projet est en arrêt pour plusieurs semaines (maladie, congé maternité …).

Problème :  le salarié est seul à gérer son portefeuille clientèle.

Les clients et partenaires continuent de le contacter, son manager lui demande s’il peut assister à une réunion en visio…

Bon gré, mal gré, le salarié continue à suivre ses dossiers.

Cette situation ouvre automatiquement droit à réparation pour le salarié, indique la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 septembre 2024 [1].

C’est l’occasion de faire un point sur la distinction entre préjudice automatique et préjudice à prouver.

1°) Le principe : le salarié doit prouver la réalité de son préjudice

Ce principe a été posé par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 avril 2016 [2] : « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges de fond ».

Il signifie que le manquement d’un employeur à l’une de ses obligations n’ouvre pas droit automatiquement à des dommages et intérêts en faveur du salarié.

Le salarié est tenu d’établir l’existence de son préjudice.

Il en ainsi en cas d’absence ou de retard dans l’organisation d’une visite de reprise à la médecine du travail dès le classement du salarié en invalidité de deuxième catégorie [3] ou au retour du congé maternité [4].

De même, en cas de remise tardive d’une attestation France Travail à la fin du contrat, le salarié obtiendra un dédommagement s’il démontre, par exemple, que le versement de ses allocations chômage en a été retardée [5]

2°) Par exception, certains manquements de l’employeur créent un préjudice automatique pour le salarié

Le salarié est alors dispensé de prouver l’existence de son préjudice.

La Cour de cassation a déjà admis par le passé un préjudice automatique en cas de :

-          Dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire [6]

-          Dépassement de la durée maximale de travail quotidienne [7]

-          Absence de mise en place des institutions représentatives du personnel [8].

Par la série d’arrêts rendus le 4 septembre 2024, la Cour de cassation complète sa liste des préjudices automatiques :

-          Faire travailler un salarié pendant son arrêt maladie [9] : peu importe qu’il s’agisse d’un travail continu ou ponctuel.

Dans cette affaire,il s’agissait d’une salariée revenue trois fois dans l’entreprise pour accomplir une tâche ponctuelle d’une durée limitée.

-          Faire travailler une salariée pendant son congé maternité [10].

-          Ne pas respecter le temps de pause quotidien [11] (article L.3121-16 du code du travail).

3°) Nuance : dans tous les cas, la preuve de l’ampleur du préjudice reste à la charge du salarié

Dans les arrêts précités, la Cour de cassation indique si la preuve de l’existence du préjudice repose sur le salarié ou résulte automatiquement d’un manquement de son employeur.

Mais, une fois l’existence établie, il reste à le mesurer.

Pour ce faire,le salarié devra remettre aux juges tous les éléments permettant d’évaluer l’importance de son préjudice et de fixer le montant du dédommagement.

En conclusion, le préjudice est dans certains cas automatique en son principe, mais le montant de la réparation reste individualisé.


[1] Cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°23-15.944

[2] Cassation Chambre sociale 13 avril 2016 pourvoi n°14-28.293

[3] Cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°22-23.648

[4] Cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°22-16.129

[5] Cour d’appel de Paris 24 mars 2024 RG n°21/04078

[6] Cassation chambre sociale 26 janvier 2022 pourvoi n°20-21.636

[7] Cassation Chambre sociale 11 mai 2023 pourvoi n°21-22.281

[8] Cassation Chambre sociale 28 juin 2023 pourvoi n°22-11.699

[9] Arrêt précité Cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°23-15.944

[10] Cour de cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°22-16.129

[11] Arrêt précité Cassation Chambre sociale 4 septembre 2024 pourvoi n°23-15.944

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